L’idéologie est-elle encore la principale motivation des Juifs qui choisissent d’immigrer aujourd’hui vers Israël? La croissance économique de l’Etat hébreu attire une nouvelle vague d’arrivants éduqués, bien décidés à réussir matériellement au même titre que s’ils étaient restés dans leur pays d’origine. Afin de relever le défi et défendre ses intérêts, la communauté française en Israël se fédère en un groupe de pression.
Nouvelle donne pour l’alya : crise européenne et croissance en Israël
Que la démarche soit politique, économique ou personnelle, immigrer vers un nouveau rivage et se mêler à la population locale a toujours représenté un défi pour quiconque ose franchir le pas.
Peur du racisme ou retour aux sources ont sans doute poussé des populations venues du monde entier à prendre le chemin de la Terre Promise.
Cela dit, depuis l’antisémitisme des années 40 aux vagues plus récentes qui ont connu d’inquiétants sommets ces dix dernières années, on pourrait croire que le racisme et la peur représentent les motifs principaux pressant les Juifs à quitter leurs pays d’origine. Mais à regarder de près la vague d’immigration qui a commencé au début du 21e siècle, il semblerait que les motivations de l’alyah aient pris un tour nouveau et inattendu. Naguère idéologique et politique, l’alyah devient également économique.
Le sionisme procédait à l’origine d’une idéologie, et l’immigration vers Israël représentait un choix douloureux vers l’inconnu. Souffrance, sacrifices et pauvreté faisaient obligatoirement partie du panier de bienvenue : les nouveaux arrivants étaient donc priés de louer ceux qui les accueillaient et de les remercier pour ce pays péniblement construit. Comme partout ailleurs, dernier arrivé, dernier servi, et la parodie d’Arik Einstein en un gag- court-métrage n’a pas pris une ride.
Les immigrants eurent, comme partout en Europe d’ailleurs, besoin d’une génération ou deux pour bâtir une situation solide et s’intégrer.
Pourtant aujourd’hui, dans un cocktail historique étrange, la croissance israélienne sans précédent et le déclin de l’Europe sont deux tendances opposées qui ont changé la donne. Et par conséquent, une population éduquée et laborieuse pourrait quasiment prétendre au même train de vie ici et là-bas.
D’où l’émergence en Israël de groupes structurés créés par des immigrants français entendant défendre leurs droits à une intégration réussie. L’un des défis majeurs pour les immigrants ayant fait des études supérieures est de voir leurs diplômes reconnus en Israël, exercer la profession de leur choix et jouir de la même qualité de vie maintenant en Israël que naguère dans leur pays d’origine.
Le taux de chômage a connu une croissance continue en France depuis la crise de 2008, atteignant d’effrayants sommets (10,6% de la population active française fin 2015 selon l’INSEE, contre 5,9% en Israël).
L’alyah apparaît finalement comme un choix plus prometteur pour des jeunes désirant étudier à l’étranger, tout comme pour des adultes dans leur trentaine. Cette tendance est d’ailleurs pertinente aussi bien pour les Juifs en particulier que pour les jeunes adultes désabusés de la « génération Y » souhaitant élargir leur expérience et leurs horizons.
Dans le contexte d’une Europe essoufflée et reposant sur sa grandeur passée, les jeunes comme les cadres plus seniors commencent à craindre de ne pas pouvoir assurer une situation stable pour leurs familles ou pour eux-mêmes. L’avantage comparatif de l’Europe se fissure dans des grincements qui font fuir de plus en plus d’élites.
Le terrorisme ne décourage plus l’alyah
Vivre en Israël, pour une grande majorité de la Diaspora, reviendrait à accepter le danger au quotidien et vivre avec l’épée de Damoclès des attentats.
Or, ce sort stressant naguère dévolu à la population israélienne tend à devenir la règle d’un monde pétri de risque plutôt que l’exception.
La tragédie du 11 septembre a inauguré un traumatisme durable non seulement aux Etats-Unis mais également pour les pays occidentaux : la démocratie la plus puissante au monde, endeuillée de milliers de morts, faisait l’expérience de l’horreur sur son propre territoire.
Depuis les attaques terroristes de 2001, des événements ont frappé les grandes métropoles pratiquement chaque année. Al Quaeda, Boko Haram puis plus tard Daesh entre autres groupes fondamentalistes se réclamant de l’Islam radical ont semé la terreur et frappé de façon aveugle les populations. Madrid (2004), Londres (2005), Bombay (2008), Boston (explosion du marathon, 2013), Bruxelles (Musée Juif, 2014), Sydney et Paris (attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper casher et du Bataclan, 2015) ne sont que quelques jalons d’une liste trop longue.
Conclusion : le terrorisme peut frapper partout et n’importe qui. Les tueurs sont désormais organisés en petits groupes et reposent sur un business-model rentable d’entrepreneurs de la haine qui prennent en charge leur propre part de risque. Par conséquent, la peur du terrorisme en Israël n’intervient plus comme un facteur décisif susceptible de freiner l’alyah. Au contraire ! Les Israéliens se présentent finalement mieux préparés pour se défendre lors d’une attaque que dans le reste du monde.
Néanmoins, la pression politique et le racisme exercé sur les Juifs européens est-il suffisant pour que ces derniers abandonnent une profession stable reposant sur des diplômes et des statuts reconnus ?
S’adapter à de nouvelles règles du jeu, s’en sortir avec une culture, un rythme de vie et une mentalité différents sont des obstacles indiscutables. Mais l’une des difficultés majeures pour les nouveaux arrivants réside sans doute dans leur capacité à gagner leur vie lorsque leurs diplômes sont inconnus au bataillon ou même tout simplement non reconnus dans le pays.
Vous sortez d’HEC? À la bonne heure, mais on vous jugera davantage sur votre expérience professionnelle. Les cartes sont vite rebattues et vous devrez vous réinventer en urgence. Vous êtes l’heureux détenteur d’un diplôme de médecin, dentiste, orthophoniste ? La bataille ne fait que commencer pour obtenir des équivalences et s’extraire de la case départ de votre carrière. C’est précisément de ce constat d’urgence que les immigrants de France sont partis pour s’unir en une organisation politique visant à défendre leurs droits.
Qualita: un lobby politique voué à soutenir l’alyah française
Un lobby français a vu le jour afin de servir les intérêts d’une minorité croissante devant la Knesset. Dirigée par Mickael Bensadoun, un Français doté d’une solide expérience politique et business, Qualita entend soutenir l’intégration d’une nouvelle alyah diplômée et à fort potentiel. Visionnaire et pragmatique, Bensadoun a saisi l’enjeu majeur pour les Français diplômés : la réussite durable de l’intégration dépend de la construction d’une situation financière stable.
C’est pourquoi Mickael Bensadoun avait anticipé et semé les jalons d’un système favorisant l’intégration des éléments à forte valeur ajoutée, à savoir les nouveaux arrivants ayant bénéficié d’une éducation supérieure dans leur pays d’origine. Premier pas de ce projet, la création de l’ONG “Gvahim », qui aide depuis 2011 les immigrants du monde entier de façon très pragmatique à aborder le marché de l’emploi israélien.
Seconde étape pour Bensadoun, aidé par des chefs de file passionnés, la création de Qualita. Les nouvelles vagues d’alyah française ont désormais leurs leaders et se structurent. Quel est leur combat?
Cette nouvelle immigration d’éléments à haut potentiel, présentée comme un “brain gain” pour Israël, jette évidemment une menace pour toute une série de corporations (médecins, avocats, etc.), plus pressée de maintenir des barrières à l’entrée protégeant leurs corps de métier que d’accueillir à bras ouverts de nouveaux concurrents.
Traduire et faire reconnaître les diplômes français, survivre à la bureaucratie locale et modifier le cadre légal israélien sont les premiers pas d’une lutte qui s’annonce sportive. Belle lubie que ce lobby, mais Qualita gagnera-t-il cette bataille ?